[TRIBUNE] : Entre mémoire et marketing, le nom du Stade Tata Raphaël ne se vend pas

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Par Charlie Jephthé Mingiedi Mbala N’zeteke
Activiste, penseur et notable de Madimba

Je voulais me taire, mais je ne peux pas.
Car il y a des choses qu’un patriote ne peut ni tolérer, ni accepter, sans devenir complice du mensonge et de l’oubli. Rebaptiser le Stade Tata Raphaël au nom d’un combat de boxe, fût-il « du siècle », c’est effacer un pan entier de notre mémoire collective.
C’est renier l’un des bâtisseurs du sport congolais, celui que nos pères appelaient affectueusement Tata Raphaël.

Oui, l’histoire du Congo a connu plusieurs tournants.
Sous le régime du président Mobutu Sese Seko, la politique du recours à l’authenticité a voulu rompre avec les symboles coloniaux :
 • Le Congo est devenu Zaïre ;
 • Léopoldville est devenue Kinshasa ;
 • Les noms chrétiens ont été remplacés par des noms africains ;
 • Les statues et monuments coloniaux ont été démontés.

Mais cette politique n’a jamais eu pour but d’effacer la mémoire des hommes de bien.
Certains, bien que venus d’ailleurs, ont semé dans ce pays des graines de fraternité, d’éducation et d’émancipation.
Le Père Raphaël de la Kethulle de Ryhove, connu sous le nom de Tata Raphaël, fut de ceux-là.
Le respect de la mémoire est un devoir civique pour tous !

Né le 15 septembre 1890 à Saint-Michel-lez-Bruges, en Belgique, ce missionnaire scheutiste arriva au Congo belge en 1917, à l’âge de 27 ans.
Directeur du Collège Saint-Joseph de Léopoldville, il introduisit pour la première fois le football dans nos écoles, convaincu que ce sport pouvait éduquer, unir et discipliner la jeunesse congolaise.

Entre 1918 et 1923, il organisa les premiers tournois interscolaires et fonda plusieurs clubs :
 • Cercle Sportif Congolais (C.S.C),
 • Union,
 • Standard,
 • Étoile,
 • Excelsior,
 • et Union Sportive de Léopoldville.

En 1934, il lança la construction du stade Reine Astrid (aujourd’hui stade Cardinal Malula) et, en 1948, celle du stade Emmers, achevée en 1952, qui deviendra plus tard le stade Tata Raphaël.
Ce lieu est donc bien plus qu’un espace sportif : il est le berceau du football congolais, la matrice de notre passion nationale.
Tout le monde sera d’accord avec moi si je dis que Tata Raphaël est le père fondateur du football congolais.

Ce stade est aussi le fruit d’un travail collectif.
Mon feu grand-père me racontait comment, dans sa jeunesse, les élèves des écoles catholiques de Léopoldville étaient mobilisés chaque mercredi pour transporter les pierres vers le chantier du futur stade, dans le quartier Immocongo.
En échange, un simple ticket leur était remis pour accéder au stade Reine Astrid et assister aux matchs.

Ce geste symbolique racontait déjà tout : le peuple congolais a bâti ce stade de ses propres mains.
Ce lieu est donc un héritage partagé, né de la foi, de la sueur et de la solidarité de nos pères, un monument bâti par le peuple et pour le peuple.

Le 25 juin 1956, Tata Raphaël s’éteint en Belgique.
Mais, à la demande insistante du peuple congolais, son corps fut rapatrié au Congo pour être enterré à Léopoldville.
Oui, les ossements de Tata Raphaël reposent ici, sur la terre congolaise, auprès du peuple qu’il a servi avec amour et dévouement.

Et aujourd’hui, certains veulent effacer son nom pour glorifier deux boxeurs étrangers, morts et enterrés aux États-Unis : Ali et Foreman.
Tata Raphaël repose ici, eux reposent là-bas.
Comment peut-on remplacer celui qui a bâti par ceux qui ont simplement combattu ?
Il faut reconnaître que Tata Raphaël est une mémoire ancrée dans notre terre.

Le football, chez moi, est une histoire de famille.
Mon grand-père maternel, Mbuta Mingiedi Mbala, dont je porte fièrement le nom, fut parmi les premiers promoteurs du football au Congo belge.
Président honoraire de l’AS Vita Club, il a été témoin oculaire du grand soulèvement du 4 janvier 1959, alors que cet événement historique se déroulait pendant sa présidence de ce prestigieux club.

C’est dire que pour moi, défendre le nom du stade Tata Raphaël, c’est défendre une part de mon identité, une part de la mémoire de mes aïeux, qui ont aimé ce pays au point d’y laisser leur sueur et leur honneur.
Et je dois reconnaître que c’est un héritage qui coule dans mes veines.

Oui, le combat Ali–Foreman de 1974 fut un moment de gloire.
Mais ce combat, aussi légendaire soit-il, n’a duré qu’une nuit.
Tata Raphaël, lui, a bâti un siècle d’histoire.
Ce stade n’appartient pas aux boxeurs américains : il appartient au peuple congolais.

On peut célébrer le combat du siècle, mais sans renier celui qui nous a appris à construire, à jouer et à croire en nous-mêmes.
Le combat du siècle n’efface pas un siècle de mémoire, surtout que ce combat avait pour but de faire parler du nouveau Congo.

Le stade Roi Baudouin devint successivement stade du 20 mai, puis stade Tata Raphaël, non pas pour glorifier la colonisation, mais pour honorer un homme dont l’œuvre avait transcendé les clivages.
Son nom a été donné à la demande du peuple de Kinshasa.

Le rebaptiser aujourd’hui serait réécrire notre histoire, piétiner nos symboles et profaner un tombeau moral et national.
Le Congo n’a pas besoin de changer de noms à chaque génération : il a besoin de se réconcilier avec sa mémoire.
On n’efface pas l’histoire : on l’assume.

Tata Raphaël dort sur notre sol, sous nos cieux, parmi les siens.
Effacer son nom du stade, c’est profaner sa tombe et celle de tous ceux qui ont construit ce lieu à la sueur de leur front.
Ceux qui veulent rebaptiser le stade Tata Raphaël ne rendent pas hommage à Ali ni à Foreman mais ils participent à une falsification de notre mémoire collective.

Vous qui voulez rebaptiser le stade Tata Raphaël, saviez-vous que c’est lui qui était :
 • Fondateur de la FECOFA (Fédération Congolaise de Football Association), créée en 1919 sous l’époque coloniale , la deuxième fédération du continent africain, après celle d’Afrique du Sud (1899).
Elle sera plus tard affiliée à la FIFA en 1962 et deviendra membre de la Confédération Africaine de Football (CAF) en 1963) ;
 • Fondateur du DCMP ;
 • Co-fondateur de l’AS Vita Club ;
 • Fondateur de nombreux clubs à Kinshasa, toujours actifs aujourd’hui ;
 • Créateur de l’EPFKIN (Entente Provinciale de Football de Kinshasa), le championnat de l’élite de la capitale, véritable pilier du football congolais.

Le stade Tata Raphaël doit rester ce qu’il est :
le temple du football congolais, bâti par le peuple, pour le peuple, et marqué à jamais par la mémoire de celui qui y repose.


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